Projet de Naissance

Projet de Naissance

Comment se préparer à une naissance respectée, avec Sophie Lavois, spécialiste des choix et droits en périnatalité depuis 1999.


La naissance de Victor

Publié par Sophie Gamelin-Lavois sur 19 Avril 2009, 08:42am

Catégories : #Récits de naissances


Pour cet enfant, la plus belle préparation à l'accouchement que j'ai faite, ça été de lire les témoignages sur le site périnatalité. Et j'ai eu l'accouchement dont je n'osais rêver ! Alors, témoigner à mon tour, c'est presque un acte militant, parce que c'est possible de retrouver cet immense pouvoir de femme…

Depuis que je suis gamine, j'ai un sentiment étrange dans ce monde médicalisé : celui de penser que mon corps est fait pour faire des enfants, entre autres. Qu'il sait le faire, sans rien ni personne pour aider. Moi qui passe ma vie accroupie, je connais cette position, je sais que c'est celle là qui me donnera mes enfants…

Il m'en a fallu du temps pour mettre en phase mes actes et mes pensées ! Deux accouchements à l'hôpital, sanglée, perfusée, accrochée au monitoring, soumise aux sadismes d'une élève sage femme la première fois, rasée, couchée tout le temps, interdiction absolue de se lever, de s'asseoir... Oh mon corps, trop de douleurs, j'ai craqué ces deux fois là pour une péridurale, j'en ai pleuré de ne pas me sentir assez forte pour accoucher sans anesthésie. Deux belles épisiotomies, j'avais 23 et 25 ans et pendant encore 10 ans, les larmes venaient en parlant de mes accouchements. Tout faux. Mon pauvre corps, mon âme…

J'en ai voulu à mon mari de ne pas me défendre, je m'en suis voulue de ne pas oser me rebeller… Ce qui est vicieux, c'est que la douleur est si profonde qu'on l'enterre bien loin. L'humiliation est réelle, et s'ancre au fond de la peau, peut être dans un coin du sexe… " Tout s'est bien passé, personne n'est mort, pas de forceps, pas de césarienne, de beaux bébés… " Juste un manque de confiance en soi, un peu diffus, qui traîne… C'était fini, plus d'enfant, j'ai vieilli un peu.

Et puis, une autre vie, l'envie d'enfant reprend. Mais cette fois, je ne me ferais pas avoir ! Je m'inscris dans la clinique à la " bonne " réputation, celle où on peut accoucher dans sa position préférée, voire dans l'eau, le personnel est présenté comme militant, respectueux de la femme, il faut juste s'y inscrire une seconde après la fin du rapport fécondant (ou presque)… Troisième accouchement, super je suis accroupie… mais sur une table, la lumière est très forte, la sage femme me regarde droit entre les jambes, une puéricultrice à côté aussi, des conseils sur la respiration, sur la position… Je hurle des insanités, j'ai mal, je finis couchée (conseil de la sage femme) et hop, une épisiotomie, ça bloquait contre le périnée... Bon.

Je suis heureuse quand même, je n'ai pas demandé de péridurale… Mais j'ai eu mal ! Et puis, avec le recul, j'ai pris conscience de tout ce que je ne voudrais plus jamais. Plus d'ordres, ni même de conseils, plus de regards, plus de gestes, et à moins d'un réel problème, plus jamais d'intervention médicale. Je retrouve un peu de fierté avec cet accouchement, mais, mais… Je suis à mille lieues de mon instinct…

Quatrième enfant. J'ai compris, je me suis renseignée, et je peux le dire, c'est le côté moderne, vive Internet ! J'ai tout trouvé. Les infos, les sages femmes, je deviens incollable ! Celui-là, donc, il naîtra à la maison. Je passe un peu sur les détails, la sage femme a rassuré mon homme (j'aurais bien aimé qu'il me fasse confiance direct, mais le poids de notre culture…), et plus les heures passées devant l'ordinateur s'accumulent, plus j'ai envie d'accoucher seule. La confiance grandit entre moi et mon corps. Un petit incident, une pollution dans cette grossesse, la clinique où j'ai accouché du troisième me fout un coup de panique, le petit est en siège.

L'obstétricien le plus cool jamais rencontré (si si) me menace de césarienne, et en tout cas pas de naissance à domicile. Sur ce (ou avant ?), toute ma famille ou presque me fait part de son angoisse. J'ai un petit instant de faiblesse, d'agacement, de je ne sais quoi… Et puis, c'est ma manière de fonctionner, plus je sens de résistances, plus je fonce ! Je cherche des témoignages de naissances à domicile avec siège, je ne trouve pas, tant pis. Je décide que si la sage femme ne me suis pas, j'accoucherais seule. Elle me suit, et surtout, m'explique ce qui peut arriver. Par exemple, si la poche des eaux se rompt, je peux me retrouver avec un petit pied dehors, mais trop tôt, je dois attendre, tranquillement, que le travail se fasse. Ca peut durer quelques heures… Petit pied bleu remuant entre les jambes… Je ne le savais pas, je le note là pour info, plus on en sait…

Une semaine plus tard, c'est l'heure, je fais mon nid dans l'obscurité, des vieux draps, des torchons, des peaux de moutons sur le lit et sur un ballon, je m'entoure comme ça, je suis inaccessible, presque invisible. Diego, mon petit de 18 mois m'apporte son doudou et repart jouer avec son père. Les grands passent par là, n'osent pas rester et partent au collège. Je ne dis rien, je ne peux pas, trop préoccupée…

Quand les contractions sont trop fortes, je renifle une peau de mouton, c'est bon cette odeur animale. Je bouge, je suis accroupie la plupart du temps, un sourire à Diego entre chaque soupir pour lui dire avec les yeux, c'est normal, tout va bien… Je sens quelque chose qui pousse sur mon périnée, quelque chose de rond : tiens, la tête ? Et paf, un petit pied sort en shootant dans la poche des eaux !

- " Oh, c'est un pied ! "
- " C'est pas grave ! me répond mon homme. "

Nous avons laissé un message à la sage femme, pas pressés, pas inquiets. Le père et son fils jouent tranquillement. Je commente : " Son pied tourne ". Je l'ai posé sur ma main, il bouge un peu, à peine, mon coeur bondit, je souris intérieurement : il est vivant ! Il va bien ! Cette image de petit pied, j'ai envie de la photographier, d'appeler les autres pour qu'ils voient ça, et puis, je ne fais rien, je regarde la jambe apparaître en tournant, je lui parle, à lui maintenant : " Passe moi ton autre jambe maintenant " et la deuxième jambe sort, atterrit dans ma main. Le poids du corps l'entraîne, je vois ses fesses, son dos jusqu'aux aisselles. " Passe moi ton bras (il le sort), l'autre (pareil), je sens la tête, ohlala "

Et effectivement, la tête passe doucement, je repense à ce que je sais, j'ai un peu mal alors je le " démoule ", je me relève au ralenti et je sens son visage sortir, menton, nez, ses oreilles, il est dans mes mains : il est né. Trop vite. J'en reprendrais bien pour une heure de bonheur !!!!

A aucun moment je n'ai poussé, j'ai aidé les contractions à faire leur travail, juste laisser la place, ouvrir pour accueillir ce bébé. La douleur ? Je ne dirais pas que je n'ai pas eu mal, mais tout était fort, l'émoi, la sensation, je ne veux pas parler de douleur... Demain je recommence, tout de suite même !

Je serre ce bébé, Diego me rejoint dans mon " nid ", touche un peu ce bébé blanc et humide, repart. Mon homme m'a donné une serviette chaude, nous nous enveloppons dedans. Je ne sais pas combien de temps j'ai mis avant de penser, tiens, mais c'est une fille ou un garçon ? Je passe la main, un gars ! Il me regarde, je vois son prénom, Victor, une victoire ! Et puis la sage femme arrive, essoufflée, un sourire jusque derrière les oreilles, ravie de m'avoir aidé à vivre ce que je voulais, seule, sans elle !

Cet enfant, je suis tombée en amour de lui. Il m'a faite telle que je me rêvais, telle que j'étais sans l'oser tout à fait. Je regrette qu'on ait coupé le cordon si vite, que la " délivrance " m'aie un peu trop préoccupée à un moment, et surtout, surtout, que mes grands enfants n'aient pas été là, dans un coin. Je voudrais recommencer, avoir tout juste cette fois, seule avec mes enfants, le père dans un coin, du chaud, du calme, de l'obscurité, toute la beauté et la douceur du monde pour une vie… mais la vie…

Natacha Bouvier, mars 2005.
n.bo(arobase)libertysurf.fr
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B
<br /> <br /> Merci pour ce témoignage de naissance en siège !<br /> <br /> <br /> je suis à 39 SA... BB a priori toujours en siège... j'avais trouvé un gynéco ok pour une VB/siège... mais il sera en vacances lors de ma DPA... et nous avions prévu un AAD, sauf que la SF ne veut<br /> pas nous suivre si BB en siège...<br /> <br /> <br /> donc je me dirige vers un ANA... alors merciiiii pour ce si beau témoignage !<br /> <br /> <br /> <br />
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