Projet de Naissance

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Comment se préparer à une naissance respectée, avec Sophie Lavois, spécialiste des choix et droits en périnatalité depuis 1999.


La naissance d'Adèle

Publié par Sophie Gamelin-Lavois sur 23 Avril 2009, 07:35am

Catégories : #Récits de naissances


La naissance d'Adèle

Adèle est née, jeudi matin pendant le lever du jour, à la maison pour notre plus grand bonheur. La veille au soir des contractions espacées de 5 minutes sont apparues. Au bout de 2 heures environ, j'ai appelé ma sage-femme pour lui demander à quel moment je pouvais prendre les antibiotiques (lors de la naissance de Tom j'avais eu un prélèvement vaginal la veille de l'accouchement qui avait révélé la présence de strepto B ; étant donc porteuse de cet hôte, j'ai pris un antibiotique pour éviter que le bébé, lors du passage dans le vagin ne le contracte). Et elle m'a dit : "au début du travail". Bon, me voilà bien embêtée car je ne sais pas si c'est le début du travail. Je ne m'entends pas, je n'ai pas encore assez appris à m'écouter... J'estime que ce n'est pas le début du travail, je ne ressens pas de douleurs, et je m'attendais à éprouver de la douleur au moment de ces fameuses contractions. Je me plonge dans un bon bain chaud et je réfléchis, pendant que mon chéri s'applique à endormir Tom, notre aîné.

L'eau me fait du bien, m'aide à me centrer sur moi et mon bébé. J'entends mieux à présent ce que mon corps me murmure. J'aime chaque contraction qui masse mon bébé en direction du monde extérieur. J'aime la sentir monter du fond des temps, ouvrir doucement ce col que je connais si mal. Je réfléchis. Je ne suis pas sûre d'accoucher ? Non. Je ne me sens pas capable d'accoucher encore, j'ai du mal à me faire confiance. Mais chaque contraction me donne l'espoir que oui, je suis peut-être en train d'accompagner mon enfant "dehors".

Je ne veux plus minuter ces sensations, je veux les accueillir, point : je cache la pendule. Je sens qu'elles sont maintenant plus irrégulières, mais qu'elles gagnent en efficacité. Je sens que c'est cela, je sens que mon corps se prépare à donner la vie. Bonheur, mon bébé va naître.

Je repense à la naissance de Tom, mon bébé malmené, bousculé, extirpé, tourné, aspiré, piqué, sondé, frotté par des mains gantées inconnues, ébloui, né trop tôt...de peu de jours certes, mais né trop tôt, je n'en doute pas. Ce premier accouchement déclenché pour cause de...rien du tout finalement (prise de poids spectaculaire, une fois de l'albumine dans les urines, oedèmes) m'a emmené jusqu'ici, dans ma baignoire, ce soir. Je me réconcilie avec la naissance de Tom, la route est longue mais je sais que je suis sur le bon chemin.

Je parle à mon bébé, je lui parle de l'intérieur, avec mon coeur et mon corps. Je suis fière de mon utérus qui sait se contracter au bon moment, de mon col qui s'ouvre pour laisser naître mon enfant. Je me sens capable de laisser faire cela. Un obstacle demeure, je ne peux plus ne pas y penser. Le périnée. Coupé, cousu, net, chirurgical. Une cicatrice totalement indolore, jusqu'à cette nouvelle grossesse...j'avais oublié, nié mon périnée. Aujourd'hui je ne le connais pas, j'en ai peur. Peur qu'il me fasse mal, qu'il se déchire, qu'il soit incapable de se détendre pour laisser passer mon enfant. Il est fait pour ça, pour laisser passer les enfants, je le sais mais je ne peux y croire.

Je sors de l'eau. J'ai sommeil, je voudrais me reposer alors je me couche. Point de sommeil finalement, je suis parfaitement réveillée, mes sens sont même exacerbés ! Mais je ne suis pas à l'aise allongée lors des contractions, et puis mon bébé préfère une position verticale lui aussi. Nous partons alors nous promener dans l'appartement. Les chattes me suivent de pièce en pièce, elles sont un peu inquiètes, d'un air de me demander ce que je fais debout à cette heure-ci ! Je trouve la nuit belle, le calme enveloppant, sécurisant, je me sens bien.

Je savoure chaque seconde de cette fin de grossesse, ne sachant pas si nous referons un enfant puisque je me suis immunisée ces deux derniers mois (je suis rhésus - et mon compagnon rhésus +). Je suis prête à accueillir ce bébé, j'ai aimé le porter et j'aime sentir le moment de cette rencontre si spéciale qu'est la naissance approcher.

J'ai envie d'un bain encore, cela me convient bien d'être dans l'eau...dommage que je ne puisse pas adopter certaines positions dans ma baignoire : sur le dos, les contractions sont moins agréables car je sens qu'elles n'obtiennent pas le même résultat sur mon col que quand je m'assied en tailleur ou que je marche.

J'ai envie que William (mon chéri) vienne près de moi, alors que jusqu'à présent j'appréciais de le savoir endormi. Je réveille notre garçon par la même occasion (involontairement), et il est très amusé de me trouver dans l'eau ! Il me chante des comptines, propose de me prêter ses jouets de bain, etc. Il est inquiet quand il me voit fermer les yeux et me concentrer. Je n'ai pas envie qu'il soit là, je veux être seule à nouveau. William téléphone à une amie qui va venir chercher Tom ; il est excité, pressé de partir, il fait du bruit, court partout, puis veut toucher mon ventre. Je ressens des sentiments contradictoires, j'ai envie de le serrer dans mes bras et envie de fermer la porte à clé pour ne plus qu'il vienne me déranger. Il vient me dire au revoir et là, je réalise que c'est la dernière fois que je le vois seul sans frère ou soeur...je suis émue, je l'aime tant ! Il s'en va en me disant bon travail, terme que nous n'avions jamais utilisé pour lui parler de la naissance.

Nous voilà seuls dans l'appartement, le silence reprend sa place, je replonge dans ma bulle. William est très présent tout en étant discret et distant. Je sais qu'il pense à notre bébé, à ce que nous nous préparons à vivre, ensemble et pourtant séparément. Les mots sont superflus. Il est quelque part dans l'appartement, il est avec moi, avec son bébé, je le sens très proche de nous.

Je sors de l'eau, je suis très réveillée, comme en alerte. Je commence à avoir envie d'uriner après chaque contraction. Je m'installe aux toilettes avec un marchepied pour surélever mes jambes : je veux être seule tout en sachant que William est "mentalement" avec moi. Il attend, tranquillement, toujours en silence, il m'a comprise. Je saigne un peu, je ne ressens toujours pas de douleur. Pas de douleur de maladie, de traumatisme mais plutôt une rencontre avec une partie de mon corps qui n'est pas sollicitée souvent à ce point, un peu comme ce que je ressens lorsque je marche trèèès longtemps et que les muscles de mes jambes semblent fatiguer et continuent pourtant de me porter !

La sage-femme arrive. Je ne sors pas tout de suite de ma cachette, je suis bien dans le noir total. Quand même je sors entre deux contractions, je suis contente qu'elle soit là, sa présence me rassure, lève les dernières inhibitions, je me sens complètement prête à accoucher maintenant.

J'ai besoin de me rouler en boule sur les gros coussins du canapé pendant les contractions. Je fais des allers-retours entre le salon et les toilettes, en enlevant un peu plus mes vêtements à chaque réapparition dans le salon ! Ma sage (très sage) femme me laisse tranquille, elle fait silence elle aussi ; c'est merveilleux.

William est très paisible, totalement silencieux, il ne me cherche même pas du regard, j'apprécie son attitude posée, toute son énergie dans l'attente, une attente patiente, pas de précipitation, pas de pression. J'ai tout mon temps.

Ma sage-femme me demande si elle peut écouter le coeur de mon bébé. Oui. Tout va bien. Je sais. Je sens. Je pense aux animaux que j'ai vu donner naissance, aux juments qui se couchent en soufflant longuement, aux chattes qui miaulent et ronronnent à la fois griffes sorties, à mon tour maintenant ; je vais accoucher comme des millions de mammifères, chattes, juments, gorilles, ou humaines, je suis des leurs, de celles qui font faire naître leurs petits elle-mêmes.

Je demande à William de protéger le canapé, c'est la sage-femme qui va l'aider. Je sens une contraction plus puissante que les autres arriver, j'ai besoin d'être soutenue par William, j'ai envie de m'allonger mais le canapé n'est pas prêt, je suis debout dans une position qui m'est inconfortable, j'ai envie de m'accroupir mais je n'ai pas le temps. La contraction est là, elle presse très fort, et PAF la poche des eaux se rompt en plein milieu du salon. William m'aide à m'accroupir. Une énorme pression me submerge, ça pousse trèès fort, mon bébé est très bas je le sens là, tout proche, j'ai très peur, je veux me coucher sur le canapé, vite.

Voilà, je suis allongée, la poussée est partie, du liquide s'échappe encore entre mes jambes. Je demande ce que c'est même si je sais que c'est du liquide amniotique. Ma sage-femme me donne la réponse que j'attendais : du liquide et un peu de sang. Ah bon, du sang ? Un peu ? Je ne me vide pas alors ? Pas d'hémorragie ?! Merveilleux !

J'ai vraiment peur là , couchée sur mon canapé, devant Paris et le reste du monde qui se prépare à aller travailler pendant que moi j'accouche. Je suis sortie de ma bulle, la peur m'a poussée dehors, me voilà devant mon périnée maintenant je le sais bien ! Je ne veux plus accoucher, plus de bébé, plus de contractions, plus de poussées, plus de liquide, plus de périnée. Je veux que cela s'arrête. William me tient à lui, laisse mes mots s'en aller, et mes maux aussi, sans rien dire. Toujours calme, ma bouée de sauvetage au milieu de cette tempête d'émotions.

Ca pousse encore, cela me saisit, je suis dans le refus, je ne veut pas, je lutte, c'est très dur de lutter contre cette poussée ! J'ai mal lors de chaque poussée, entre deux je me sens comme jamais je ne me suis sentie : bien, mon corps détendu, je m'endormirais presque...Mais voilà, j'ai un enfant à laisser naître, je le sais bien, mais il est si loin maintenant qu'il est tout près (centimètrement parlant), derrière ce fichu périnée. C'est une porte blindée ce périnée dans ma tête, il ne peut céder qu'en étant détruit, violenté, déchiré.

Comment je vais faire ?! J'ai des bouffées de panique, je ferme les yeux, je reviens près de mon bébé, je lui dis que je l'aime, que je suis pressée de le voir mais qu'il me faut du temps. Je lui demande à voix haute ce temps, je lui dis que j'ai peur, que je veux qu'il naisse, que je vais y arriver, mais qu'il me faut encore un peu de temps. Chaque poussée qui arrive me panique, c'est trop tôt, je me raidis, j'ai des crampes dans les jambes, je suis mal. Je ne peux pas bouger mes jambes sans que cela déclenche une poussée toujours plus forte que la précédente. J'ai la nausée. Je demande à William de me tenir comme-ci, comme ça, pas si près, plus haut, plus bas, son bras là, non pas comme ça, bref, je ne sais plus, mes neurones me lâchent ! Je demande à ma sage-femme de me masser les jambes, de me dire comment va le coeur de mon bébé, où en est sa tête, je suis déconnectée de mon corps.

Ma sage-femme me ramène tout doucement à la situation, m'invite à aller voir ce périnée, voir ce qu'il se passerait si effectivement il se déchirait...Ah bon ? Je n'aurais pas mal si il se déchire ? Comment la déchirure soulage ?! Ah bon...je vais réfléchir un peu. J'ai encore peur mais je suis revenue avec mon bébé, j'ai très envie de le voir maintenant, cette envie va m'aider à surmonter ma peur.

Je me concentre sur ces sensations qui m'effraient tant, je vais tenter de laisser faire, de lâcher. La poussée est encore douloureuse, la tête de mon bébé descend de quelques millimètres à chaque fois un peu plus loin...la poussée s'en va et je laisse mon bébé remonter. Oui je sens les tissus qui se détendent un peu plus chaque fois, la brûlure laissant place à la douceur...oui mon périnée le fait, il s'étire, il est capable, j'y arrive, je souffle très fort pour ne rien tendre.

Je vais changer de position. Je sais depuis le début que je ne pourrais pas accoucher comme ça. Je me mets semi-assise sur le dos, une jambe plus pliée que l'autre, et l'autre plus en hauteur. Je vais voir une dernière fois mon bébé encore dans ventre, mon bassin, mon vagin et je lui parle en dedans. Je lui dit que l'on va se retrouver dehors, que la vie est belle, que je l'aime.

Je pousse, j'accompagne mon bébé, je le laisse passer, je n'ai plus peur, je n'ai plus mal aux jambes ni dans le bas de l'utérus, je suis d'accord avec ces sensations, je les accepte.

La sage-femme me demande si c'est moi qui contrôle la sortie du bébé ou pas. Non, je suis très occupée à ne pas contracter mon périnée, à souffler toujours plus longuement à la fin de chaque poussée. Ca brûle fort encore à la fin de la poussée. La tête de mon bébé sort complètement, tout lentement, je n'ai plus mal, il naît, je suis heureuse. Ses épaules et le reste de son corps suivent. Je le prends dans mes mains et le pose sur mon ventre, la sage-femme le recouvre avec la peau de mouton.

William est là, il était toujours là mais je l'avais perdu au plus fort des poussées, c'est pourtant serrée contre lui que je criais pendant chaque effort.

Le jour se lève, notre bébé est né, il crie un peu, nous regarde beaucoup, lèche ma peau, suce ses doigts. Il est magnifique, très tranquille d'être là, il est né. La pénombre, le silence nous accompagnent toujours, la sage-femme est partie, elle est vraiment très sage, je n'en reviens pas.

Au bout d'un certain temps j'ai demandé à William de regarder si ce bébé était fille ou garçon. C'est une petite fille m'a-t-il dit. Emotion. Nous n'avions pas choisi de prénom fille, ayant plus d'idées pour un prénom garçon.

Le placenta est sortit peu après et William a accompagné la sage-femme pendant qu'elle vérifiait qu'il était complet.

Une heure après, nous avons trouvé le prénom de notre fille : Adèle.

La sage-femme m'a fait une prise de sang (pour recherche d'agglutinines irrégulières car au cours de la grossesse une analyse s'était révélée positive) et une à Adèle aussi pendant qu'elle tétait. Malheureusement la veine roulait et finalement je n'ai pas voulu qu'elle la pique à nouveau (le sang du cordon que la sage-femme a prélevé a finalement suffit au labo référent). Aujourd'hui elle n'est pas jaune du tout ! Nous sommes contents de voir qu'elle va bien.

J'ai vécu mon accouchement pleinement, je n'ai pas de difficultés à comprendre Adèle, je me sens très mère, instinctivement parlant, Tom en bénéficie aussi.

Adèle a faim ! A bientôt.
Edith
yachin(arobase)free.fr
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