Projet de Naissance

Projet de Naissance

Comment se préparer à une naissance respectée, avec Sophie Lavois, spécialiste des choix et droits en périnatalité depuis 1999.


Accoucher chez soi autrefois. Adeline Faure, accoucheuse

Publié par Sophie Lavois sur 1 Septembre 2011, 10:03am

Catégories : #Livres - DVD naissance, #Accoucher chez soi

 

Moi, Adeline, accoucheuse
Adeline Favre
Éd. Monographic & d’En Bas, novembre 2010.

Présentation de l'éditeur

 

Adeline Favre est née à Saint-Luc, dans le val d’Anniviers (Suisse), le 22 mai d'un printemps enneigé. Elle était la huitième des quatorze enfants de l'honorable famille Salamin. Très tôt, la curiosité lui fait découvrir ce qu'est une sage-femme puisque, à côté des divers travaux aux champs, elle va aider celle du village. Là, elle s'émerveille des égards qu'on porte à la profession et, contre le gré de ses parents, commence un écolage difficile à Genève. Elle rentre à Sierre, se marie et se met à l'ouvrage en 1928. Dès lors, d'abord à domicile, plus tard à l'hôpital, elle accouche plus de 8000 enfants dans la région.

J'ai lu, j'ai aimé

 

J'ai vraiment adoré ce livre. Il est riche d'enseignement à plusieurs niveaux : comment vivaient les femmes dans les années 1920 et ensuite, quel était l'environnement social, comment était vécue la naissance, quelles étaient les pratiques d'alors et la formation de sage-femme à Genève, comment ensuite les pratiques médicales ont évolué jusque dans les années 1980.

 

C'est tout un univers que dépeint Adeline et c'est un trésor d'avoir ce témoignage ! Il nous permet de comprendre d'où nous venons et pourquoi nous en sommes là aujourd'hui. Une mise en perspective vraiment intéressante. Du temps où les maisons étaient sans confort, où le suivi médical de la grossesse n'existait pas, où la sage-femme était peu formée et gérait les complications "comme elle pouvait" (parfois en priant dans un coin de la chambre), où les déplacements en voiture étaient exceptionnels (Adeline avait un vélo, puis a eu une voiture en...1938 !), où le médecin était "trop cher" ; du temps où la grossesse a peu à peu été suivie par le médecin puis le gynécologue, où les moyens sont devenus plus modernes, où l'accouchement à l'hôpital est devenu la norme ainsi que la préparation à la naissance.

 

Adeline a pris sa retraite au moment où, comme elle l'écrit, elle avait "plus à écrire qu'à travailler" à cause des obligations administratives. Malgré les avancées et les progrès majeurs, elle déplorait au final la trop grande gestion et le dirigisme qui en résultent. Il est saisissant de constater à quel point, en 50 ans, on est passé de "rien" à "tout", voire même "trop" puisque depuis les années 1980 (avènement de la péridurale), disons entre 1980 et 2010, des associations de parents et une poignée de professionnels dénoncent les effets néfastes de l'hypermédicalisation.

 

Enfin, plonger dans ce livre permet de déduire pourquoi la naissance à domicile d'hier n'a rien à voir avec celle d'aujourd'hui et justement pourquoi elle est davantage possible aujourd'hui, grâce à la surveillance, la médication dont on dispose, et surtout l'assistance qu'offre l'hôpital si besoin.

Quelques extraits du livre 

« Au village, avec deux ou trois autres fillettes, j’avais alors une fonction bien précise : on m’envoyait "téter les mamans", comme on disait. En ce temps-là les tire-lait n’existaient pas. Or, les accouchées récentes avaient souvent trop de lait ou des seins engorgés et il fallait trouver un moyen de les soulager. Souvent, c’était le mari qui s’en occupait et parfois même y prenait goût ! Il y avait un vieux au village qui se proposait pour téter les mamans. On a souvent eu recours à lui. Bien plus tard, quand je fus sage-femme, il me dit un jour : Si tu as besoin de quelqu’un pour téter les femmes, tu peux m’appeler… Je ne l’ai jamais fait, je me suis toujours débrouillée autrement. Mais, la plupart du temps, on m’envoyait chercher pour cette tâche. Tout comme un petit bébé, je tétais le sein de la maman, sans recracher le lait, bien sûr. C’était une manière de soulager, toute naturelle, et on ne se posait pas de questions à ce sujet. » (page 37)

« Le mari restait très actif pendant l'événement, aidant la sage-femme, allant chercher de l'eau au bassin, soutenant sa femme lors de l'expulsion. C'était pour lui une chose naturelle. Pour se donner du courage, il faisait la navette entre la cave et la maison. rien d'étonnant si parfois la sage-femme ne le voyait plus revenir.» (page 198)

« Une fois, j'ai accouché une femme dont le mari buvait beaucoup. Cet accouchement a duré longtemps. Quand elle a commencé à pousser, il était plein comme un veau, cet homme. Il n'était plus d'aucune aide alors que j'avais besoin de quelqu'un pour tenir une jambe. En général, quand une femme accouchait, je mettais son pied sur ma hanche, et je tenais le genou ; le mari, lui, devait tenir la jambe comme moi, mais de l'autre côté. Cette femme disait à son mari, qui s'appelait Augustin : Yé tann ma ö cöc (j'ai tant mal au cul). Il était tellement ivre qu'il est allé lui embrasser le sexe. » (page 87)

« A cette époque, pendant les trois premiers jours après l'accouchement, on ne mettait pas le bébé au sein. Il fallait ensuite "l'amorcer" à la petite cuillère pour l'habituer à téter. Aujourd'hui, c'est dès le premier jour que l'enfant est mis au sein de sa mère. On ne pesait pas non plus les bébés et les mères n'avaient aucune notion quant à leur alimentation. Aussi, beaucoup d'enfants mourraient d'entérite parce qu'on leur donnait du lait de vache non coupé. » (page 91)

« Quand le placenta ne sortait pas spontanément, on le décollait, sans narcose, manuellement. Dans le temps, et même pendant les dix premières années où j’étais sage-femme, on n’osait pas mettre le placenta n’importe où. La coutume était de l’enterrer sous le toit ou dans la cave, car il ne fallait pas qu’il sorte de la maison. Ils l’ont toujours enterré. Jamais, jamais n’a-t-on jeté le placenta, même pas dans la fumassière avec les déchets du bétail. Moi j’ai décidé de le brûler, malgré les oppositions et les bagarres. Quand les fourneaux en pierre ollaire chauffaient en hiver, j’ouvrais la porte et hop… dans le fourneau ! Ca brûlait bien. Pendant la morte-saison on ne pouvait pas le mettre au fourneau en raison de sa forte odeur. Plus tard, j’ai envoyé les placentas aux sanatoriums valaisan et genevois à Montana. Avant qu’ils n’entrent en contact avec quoi que ce soit, je les coupais en morceaux avec des ciseaux stériles et les mettais en bocaux. Ils étaient appliqués sur des plaies qui ne guérissaient pas, surtout celles des tuberculeux, après une opération. » (page 102-103)

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