Projet de Naissance

Projet de Naissance

Comment se préparer à une naissance respectée, avec Sophie Lavois, spécialiste des choix et droits en périnatalité depuis 1999.


La naissance de Bertil

Publié par Sophie Gamelin-Lavois sur 21 Avril 2009, 14:56pm

Catégories : #Récits de naissances


Naissance de Bertil (déclenchement à 37 SA)

Voici quelques mots pour partager la grossesse et la naissance de mon dernier bébé. Sachant dès le début que cette grossesse serait risquée sur le plan sanguin pour mon bébé j’ai rencontré un gynécologue avant la fin du premier trimestre. Mon bébé et moi avions une incompatibilité rhésus confirmée par un test ADN sur sang maternel et j’ai vite développé une autre incompatibilité : avec le médecin cette fois ci. Lorsqu’il a eu la preuve scientifique du rhésus de mon bébé, il ponctuait la fin des entretiens par des « priez le bon Dieu », comme si face à une pathologie la médecine s’en remettait alors au divin. Aucune empathie, aucune place au dialogue, etc.

Malgré la distance géographique, j’ai repris contact avec la SF qui l’avait veillée durant la naissance de mon précédent bébé à la maison et j’ai pu me laisser ainsi la possibilité de croire et d’espérer un AAD, puis un accouchement en plateau technique jusqu’à ce que les portes de ces options se ferment avec la hausse de mes anticorps. C’est donc tout naturellement que j’ai ensuite envisagé un accouchement médicalisé.

J’ai aussi choisi de me rendre à 400 Km de mon domicile pour assurer le suivi médical en allant dans un service habitué à surveiller ce type de grossesse après l’attitude anxiogène du médecin du CHR de mon lieu de domicile. C’était très confortable de me retrouver tout à coup soutenue et encouragée par des personnes qui n’avaient pas peur. J’ai été agréablement étonnée que ma prise de poids, mes oedèmes et ma tension limite ne soient plus perçus comme inquiétants mais relativisés et laissés à leur juste place (c’est à dire physiologiques). C’était comme si devant un problème avéré, la science trouvait matière à utiliser ses compétences et cessait de chercher et prévenir d’hypothétiques défaillances humaines à se mettre sous la dent.

J’ai demandé à rencontrer le pédiatre qui allait prendre mon bébé en charge à sa naissance pour savoir quels allaient être les soins pour mon bébé et négocier avec lui ce que je souhaitais. Cette rencontre m’a aidée à me projeter de façon concrète dans la rencontre avec mon bébé et mes enfants ont pu aussi voir le service de néo-nat. où leur frère ou sœur vivrait quelques temps. J’ai été déçue de ne pas arriver à obtenir qu’il ne pratique pas de prélèvement pour vérifier l’absence de strepto-B. Me sachant porteuse, j’aurais voulu qu’aucune sonde ne lèse les muqueuses en risquant ainsi de créer une porte d’entrée pour le germe…Mais je n’ai rien pu négocier pour ce prélèvement, le reste c’était ok, on s’étais mis d’accord : peau à peau, pas de bain, pas d’aspiration, pas de collyre tout de suite mais prise de sang rapide à la naissance, et entrée du bébé en néo-nat à 1 heure maximum pour le début de la photothérapie.

A partir du 7ème mois, vu l’augmentation du taux d’anticorps, j’ai compris que mon bébé naîtrait avant terme. Le déclenchement par pose de gel fut prévu à 37 SA après une dernière échographie qui montrait que mon bébé allait bien et une prise de sang qui révélait par contre que mon taux grimpait à nouveau de façon rapide. La veille de l’accouchement j’ai consulté une SF libérale qui m’a fait de l’acupuncture et surtout qui m’a écoutée raconter mon ambivalence (joie et soulagement de savoir la naissance proche, regrets de ne pas pouvoir laisser les choses se faire naturellement sans risque de mettre en péril la santé de mon enfant).

Le matin de la naissance je suis arrivée à l’hôpital un peu sur la défensive, méfiante : je n’avais pas choisi de faire un projet de naissance écrit de crainte d’être étiquetée mère pénible et je savais qu’une grande partie des conditions de naissance de mon bébé allait dépendre de l’état d’esprit des personnes qui travaillaient ce jour-là. Je savais que la naissance serait médicalisée et je ne voulais pas passer à côté de la rencontre avec mon bébé comme cela avait été le cas pour mon premier bébé, né à l’hôpital lui aussi.

L’équipe est venue se présenter et m’a installée de façon très protocolaire. Très vite j’étais donc installée avec un monitoring et le papa déguisé en cosmonaute. Je savais que j’allais devoir insister pour certaines choses et j’avais choisi de ne faire respecter que ce qui était fondamental pour moi (et à ce stade je n’avais quasiment aucune attente, je verrais au cours de la journée). J’ai demandé le moins de choses possibles et j’ai fait ce que je pouvais faire sans rien demander, forte de mon expérience d’accouchement à l’hôpital qui m’a enseigné que plus on demande plus on risque d’obtenir des « non » : clamper la perf pour ne pas me retrouver hydratée malgré moi, boire et manger aussi longtemps que j’en avais envie – j’avais emmené des provisions, me tourner et m’asseoir ou me lever avec le monitoring, aller aux toilettes dans le service d’à côté (pas de wc en salle de travail…).

J’ai eu des contractions tout de suite très fortes, puis elles sont vite devenues franchement violentes et localisées sur le col. C’était très pénible mais j’étais confiante, je pensais que mon corps travaillait efficacement. 7 heures plus tard, épuisée et meurtrie j’ai demandé un toucher vaginal qui m’a été refusé puis finalement effectué et qui a montré que j’étais dilatée à 2. Le rythme cardiaque de mon bébé était moyen dès le début (même avant la pose du gel de progestérone) mais pas vraiment caractéristique des bébés anémiés.

Au fil des heures et des contractions, qui venaient toujours par salve de trois et rapprochées de 2 minutes chacune, son cœur avait des baisses de plus en plus fréquentes et remontait de moins en moins vite. Quand la sage-femme et le médecin m’ont demandé d’accepter la péridurale je me suis effondrée, j’avais très mal, et mes sensations étaient similaires à celles que j’avais ressenties 20 minutes avant la naissance de ma fille alors que je n’en étais qu’au début, et mon bébé était déjà épuisé… Je sentais que mon bébé ne descendait pas du tout malgré les marches que j’effectuais, malgré la position accroupie et le soutien de mon mari pour me suspendre ; j’ai accepté cette péridurale sachant que la fin de la naissance risquait d’être accélérée et parce que la sage-femme m’a dit que c’est elle qui avait besoin de savoir que je prenais cette péridurale.

Après la pose de l’anesthésie péridurale j’ai eu des baisses de tension qui affectaient fortement mon bébé. Très vite, une césarienne était envisagée devant la mauvaise récupération de mon bébé. Le médecin me proposa de réaliser une prise de sang sur mon bébé pour vérifier son taux d’oxygène et voir si nous avions encore du temps pour tenter une voie basse. Pas un seul instant je ne me suis visualisée au bloc ! J’étais abasourdie d’entendre que la naissance devenait urgente, je ne sentais pas plus d’urgence que quelques heures auparavant, lorsque je sentais que mon bébé ne bougeait plus et restait collé en haut de mon ventre.

C’est alors que j’ai eu envie de pousser et alors que je n’étais dilatée qu’à 4 mon bébé entamait sa naissance. J’ai pu pousser assise sur la table (à ma demande) et je n’ai pas subi d’épisiotomie. L’équipe a respecté mon souhait de silence et de non encouragements, je me débrouillais très bien toute seule et la seule chose qui m’a aidée c’est de me tenir à la sage-femme et de voir que le médecin allait réceptionner mon bébé (accoucher à 1m du sol c’est quand même pas rien : je poussais mon bébé dans le vide !). Le médecin a coupé le cordon et m’a doucement et calmement prévenue que mon bébé ne supportait pas trop de rester là. J’ai poussé pour accoucher de ce bébé que je sentais inerte en moi. Quand je l’ai pris sous ses aisselles pour le sortir avec l’aide du médecin c’est un long bébé gris et mou que j’ai vu se dérouler de mon corps et qui s’est laissé retomber de tout son poids sur mon ventre. J’ai réalisé intellectuellement qu’il était peut-être vraiment mort mais je n’ai pas eu peur.

A cet instant les mots d’une femme doula ont résonné et j’ai pensé à rencontrer mon bébé : j’ai regardé longuement son visage endormi. Comme il était beau et paisible. En attente. Une pause entre presque vivre et presque mourir. Il faisait les deux en même temps.

La sage-femme l’a vite emmené et il a immédiatement répondu aux gestes de réanimation : Vivre ! Il a poussé un faible cri qui sonnait tendrement à nos oreilles. Bertil était né.

Après un prélèvement sanguin, le pédiatre me l’a ramené (mon bébé) et j’ai tout de suite installé mon petit en peau à peau près de mon sein. Il geignait et durant les délicieuses longues minutes où je l’ai tenu et câliné, je n’ai pas compris qu’il avait mal et souffrait de ne pas bien respirer. J’ai mis beaucoup de temps pour réaliser qu’il ne téterait pas, ni maintenant ni aujourd’hui sans doute. Le médecin venait souvent écouter et surveiller le coeur de Bertil pour que je puisse le garder et faire couveuse le plus longtemps possible et c’est seulement près d’une heure après sa naissance qu’il a souhaité le prendre en charge en néo-nat.

Ensuite et seulement ensuite on m’a lavée, posé des questions et la sage-femme et le médecin sont restées longtemps avec moi et m’ont confié que cette naissance avait été très belle, forte et surprenante ; qu’elles étaient stressées de voir sur mon dossier que j’avais vécu un AAD volontaire et qu’elles se retrouvaient investies de faire naître mon bébé avec toute la médicalisation que cela supposait. Elles ont eu peur pour la vie de mon bébé et ont eu peur de prendre la mauvaise décision en laissant l’accouchement se dérouler par voie basse. Peur aussi après que la péridurale que je redoutais fasse souffrir mon bébé. Ces femmes m’ont touché, leur humilité et leur discrétion m’ont touché, les Sages Femmes existent aussi à l’hôpital, ce n’est pas fréquent de les voir car je pense qu’il faut beaucoup de paramètres pour les laisser habiter ce rôle d’accompagnant au milieu de tout ces protocoles et ce matériel brillant. J’ai dû aussi me montrer discrète et humble, modeste dans mes requêtes et forte dans mes convictions.

J’ai été ravie que la péridurale ait été peu efficace, certes j’ai eu mal (bien plus qu’à la maison !) mais j’ai pu pousser efficacement mon bébé qui était fatigué. Quand j’ai retrouvé mon petit il était branché de partout et les mauvaises nouvelles ont commencé à atteindre ma conscience. Il avait déjà changé de couleur et devenait jaune de minute en minute. Cela a continué durant deux jours. Il y a eu un cap difficile de deux journées et trois nuits où mon bébé a lutté contre un strepto B (merci le prélèvement….), une détresse respiratoire avec en prime son anémie et son ictère. Puis tout s’est amélioré alors que son anémie elle, s’accentuait comme nous le redoutions.

Il m’a fallu me battre chaque heure pour rester près de mon bébé, pour assister aux soins, pour donner mon colostrum, pour porter mon petit, pour ensuite l’allaiter. Bertil a ouvert les yeux 3 jours après sa naissance et a tété quand il avait 4 jours. Le chemin fût long pour refuser les compléments (de mon lait toutefois, mais…avec mon réflexe d’éjection fort le sein était bien plus efficace que le biberon à mon sens) et j’ai souvent triché sur le poids de mon bébé. A 10 jours nous sommes rentrés chez nous et Bertil a été encore malade durant trois mois dont 2 mois où il était souvent très faible, et tétait péniblement.

Il y a eu des ratés comme la personne qui a refusé que le prélèvement ne soit pas fait, comme toutes celles qui me répétaient que je devais dormir, me reposer et ne pas rester assoupie sur la couveuse de Bertil, celles qui perfusaient avec des bijoux plein les doigts, celles qui ne voulaient pas mettre d’Emla avant la pose de perf (et elles sont nombreuses !) et il y a eu  des gens comme des étoiles bienveillantes sur notre parcours, les médecins échographes qui n’ont pas dévoilé que mon bébé était un garçon, cette infirmière qui m’a laissé sortir Bertil quelques minutes pour que Tom et Adèle le sentent, le touchent, lui parlent et le rencontrent, cette autre infirmière qui m’a aidé à le placer en peau à peau, ce pédiatre qui a bien voulu respecter mon désir de garder mon petit en salle de naissance le plus longtemps possible, cet autre qui a finalement dit oui pour le colostrum dans la sonde alors que mon bébé ne digérait rien (et il a très bien digéré le colostrum !), une puéricultrice qui a passé sa nuit de travail a aider Bertil à respirer en me disant qu’il fallait que je l’aide et que je lui parle beaucoup et sa collègue qui l’a relayée pour tous les autres bébés qui avaient aussi besoin de soins. La surveillante qui s’est débrouillée pour que je ne sois pas sortante tant que mon bébé n’était pas sorti. Ma SF libérale qui nous a téléphoné pour nous soutenir, une amie qui m’a secouée les plumes et donné confiance pour que je ne laisse pas mon bébé seul en néo-nat. Bertil a été très entouré, il vivait mieux de jour en jour et c’était super de le voir s’animer dans la couveuse. J’ai perçu cette semaine comme un passeport pour sa vie, lui qui était né anémié, de l’eau plein les poumons et qui a contracté une infection nosocomiale à 6 heures de vie….L’hôpital, quand on peut s’en passer, c’est quand même mieux.

Il n’a finalement pas eu besoin d’être transfusé et je suis fière de nous, de mon bébé qui s’est battu comme un lion pour guérir, de moi qui ai su accepter des conditions de naissance sans me sentir dépossédée de quoi que ce soit, de mon mari qui m’a relayée 12h/24 h pour masser, caresser, porter, chanter et couver notre bébé, de ma famille qui a su nous soutenir et accompagner nos aînés alors que nous étions mon mari et moi à l’hôpital, de l’équipe qui a su en faire le moins possible pendant la naissance, de tous les techniciens de la vie qui ont mis au point les molécules et les machines qui ont sauvé Bertil et de tous les médecins et infirmières qui les ont utilisé à bon escient.

Edith
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J
<br /> bonjour,<br /> votre témoignage m'a beaucoup ému, beaucoup chose ressemblent à ma propre expérience.<br /> J'ai eu aussi un problème d'incompatibilité sanguine avec mon fils mais ceci n'a pas du tout été suivi comme vous, si vous lisez ce commentaire pourriez vous m'envoyer un message, j'envisage une<br /> nouvelle grossesse et j'aurai des question a vous poser.<br /> Merci de partager cela avec d'autres mamans, ça nous aide toutes à avancer<br /> à bientôt<br /> juliette<br /> <br /> <br />
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